Chez les Gens
Au fil de mes missions professionnelles, j’ai été amené à entrer dans l’intimité des foyers.
Je travaille dans le bâtiment, chargé d’évaluer l’état des logements collectifs afin de proposer des solutions techniques de rénovation thermique et énergétique. Mon rôle est d’accompagner les occupants vers des innovations respectueuses des enjeux écologiques actuels. Pourtant, cette ambition se heurte souvent à la réalité de leur quotidien.
Derrière des portes accueillantes et des sourires bienveillants, je découvre des intérieurs figés dans le temps, témoins de modes révolues et de pratiques oubliées. Ces foyers, loin de l’évolution rapide de notre société, semblent des capsules temporelles, où les traces d’un passé négligé s’entassent, comme des strates d’un monde qu’on a préféré ignorer.
« Chez les gens », ce sont des fragments de vies capturés dans des espaces où chaque objet, chaque couleur délavée raconte l’histoire d’un quotidien en sursis. Ces intérieurs décrépits sont à la fois des cocons et des prisons, reflet d’un immobilisme imposé par le manque de moyens et l’indifférence collective.
Avec le temps, ma perception a changé. Ce que je voyais d’abord comme une simple tâche technique s’est révélé être le théâtre d’un drame social silencieux. Ces habitants, souvent impuissants, ne peuvent plus adapter leur habitat à des normes qui les dépassent. Ils se retrouvent exclus des ambitions de modernisation qui ne tiennent pas compte de leur réalité. Un jour, ils seront contraints de quitter ce qui a été, pendant des décennies, leur refuge, expulsés toujours plus loin en marge de la société.
Ces logements, ces lieux de vie en décomposition, deviennent des salles d’attente où le temps s’étire et se résigne. Les couleurs autrefois vives sont fanées, les espaces autrefois vivants semblent en veille. Mais derrière cette apparente résignation, il y a un attachement profond à ces lieux, où les souvenirs sont ancrés.
Ceux qui y habitent n’ont plus grand-chose à perdre, et ils livrent sans retenue leur attachement à ce qu’ils ont construit, à ce qui était autrefois porteur d’espoir. Mais cet espoir semble aujourd’hui éteint, et l’avenir, incertain, se dessine dans des ombres floues.
Ils attendent.